ÉTREINTE ANDALOUSE...

Il y a 3 ans, je suis partie en Andalousie.
J'ai assisté à une Corrida. Une "pure". Avec mise à mort.

Autant le dire tout de suite, j'ai beau cherché un angle de réflexion lié à la mode, je n'en trouve pas. Donc on ne me traite pas. C'est juste un instant qui a été important pour moi (étonnamment! ) et j'ai eu envie d'en parler.

Déçue depuis le début par mon périple espagnol, je n'étais pas super emballée par le "spectacle" d'une corrida. Sans rentrer dans les détails, je n'ai pas eu le choix, alors j'y suis allée.

En rentrant dans l'arène de Tarifa (une ville au sud de l'Espagne), je suis impressionnée par le monde. L'ambiance y est déjà électrique. Il fait chaud (l'Andalousie en Août c'est trop génial si on aime pas la chaleur! 47°C en plein Séville c'est juste insupportable).
Je suis née dans le Nord de la France. Je n'ai pas l'habitude de la culture méditerranéenne, alors les habitudes andalouses m'apparaissent déjà comme super exotiques.
Je m'assois à côté d'un monsieur qui est en train de manger de la charcuterie (notez l'abondance de détails qui alimentent le récit.. J'ai entendu ça une fois et j'ai toujours eu envie de le dire... C'est fait, et je me rends bien compte que suis ridicule quand je me prends au sérieux!).
Il voit que je ne suis pas espagnole. Il voit aussi que je ne connais rien à la Corrida. Ce monsieur m'aidera à mieux comprendre ce que j'allais voir. Je ne parle pas espagnol, ou plutôt je parle espagnol comme une patate. Pourtant je vais comprendre tout ce qui va se passer. Intuitivement. Instinctivement même, parce que c'est bien de ça dont il s'agit!
Les protagonistes entrent en scène. Le taureau, les picadors, les peones, les chevaux. Et évidemment le matador. Avec mon regard de française moqueuse, j'ai naturellement envie de me marrer quand je le vois entrer en scène. C'est vrai quoi, il est ridicule avec son pantalon trop court, trop moulant et trop coloré. Je ne parle même pas de ses cheveux trop gominés. Et le pire c'est qu'il crâne. J'apprendrais par la suite que ce sont des vrais sex-symbols en Espagne. Je vais vite comprendre pourquoi!
Il y aura 6 taureaux mis à mort dans la Corrida que je vais voir.
C' est un événement construit. Les choses se font dans un ordre bien précis.
Le monsieur m'explique comment ça se passe. Patiemment. Il a l'air content de m'expliquer. Moi, je comprendrai grâce à ses yeux. Un regard pétillant, habitué mais toujours aussi passionné.
Spontanément, je le prends pour un fou. Un sadique qui prend du plaisir à voir les animaux mourir. Sauf que les choses vont être bien plus complexes que ça.
Voir mourir sous mes yeux le premier taureau va être un vrai choc pour moi. Mes larmes coulaient sans que je les contrôle vraiment. Le monsieur me prendra la main, comme pour me rassurer. J'ai aimé ce contact.
Ce choc sensoriel (mon entendement n'interviendra jamais dans cette expérience) a été extraordinaire .
Autant le dire tout de suite, je ne prends aucun plaisir sadique à voir souffrir les animaux. Je n'ai jamais torturé un animal, même dans ma période de perversion polymorphe enfantine. Jamais une aile de mouche arrachée, jamais un caillou balancé à la face d'un pigeon.
Je ne sais pas si c'est la foule, les cris, le sang, la chaleur ou le matador sexy en diable, pourtant je me suis vite sentie transie d'émotion. De vie.
La vue d'une mise à mort de taureau est quelque chose de très violent. Le sang y est si abondant que ça m'en a presque donné la nausée.
Et puis je me surprends à aimer cette étreinte entre le matador et le taureau. Ca ressemble presque à une drague amoureuse entre un homme et une femme. Je regarde le matador et je le trouve sublime. Son costume est tâché de sang, il fait des passes hallucinantes en se couchant parfois à terre. Il est beau. Eros et Thanatos s'entremêlent dans cette danse. Et c'est certainement pour ça que ça me parle. Ca parle à ce qui a de commun à tous les être humains. La Mort et le Sexe!
Contrairement à ce que j'avais toujours cru, les spectateurs ont un vrai respect de l'animal. Un matador est un bon matador s'il fait souffrir le moins possible le taureau. Sinon il est hué, méprisé. Le taureau, lui, est respecté.
Alors c'est vrai que ça ne fait pas une énorme différence pour la plupart des gens, pourtant pour moi ça a tout changé. Même si le taureau est fatigué et même s'il n'a pas beaucoup de chance, il peut s'en sortir. Il peut gagner. Le matador, lui, peut perdre. Manolete est mort en arène. C'était un des plus grands matadors de tous les temps.


Plus la Corrida avance plus je prends du plaisir à regarder. Avec du recul, j'ai un peu honte, parce que ça reste quand même une mise à mort. Un tombeau ouvert. Pourtant je vais crier. Le monsieur me dira quoi crier. Il me proposera même un bout de son sandwich.
Et je sors de là chamboulée. Ma part animale a pris le dessus sur ma raison. Je suis devenue comme ceux que je méprisais. J'avais pris du plaisir à voir un taureau mourir (ou plutôt des taureaux), à voir son sang couler et à voir ses oreilles coupées (ça n'est pas une légende)!
Je rêve d'en revoir une. Moi, celle qui se cache les yeux face à un mauvais film d'horreur qui fait même pas peur.
Je ne m'explique toujours mes réactions!
Le monsieur me serre une nouvelle fois la main pour me dire au revoir. Je le remercie. Fort. Avec les yeux.
L'arène se vide...

Commentaires

Anonyme a dit…
Il paraît que c'est magnifique...et pour le rapport à la mode il y a ces magnifiques costumes...oh ces couleurs, ces broderies...
Anonyme a dit…
Un jour on m'a accosté dans la rue pour signer une pétition contre les corridas... et j'ai refusé, tu peux même pas t'imaginer comme je me suis sentie haïe...
Bref ton post m'a donné des frissons, je rêve de voir une corrida, de vivre cette communion, je m'imaginais très bien dans tout ce que tu disais. J'ai même eu la chair de poule...
Je suis d'origine espagnole, je sais pas si ça a un rapport parce que par contre je parle espagnol comme une patate moi aussi, mais bon les quelques fois où je suis partie en espagne je m'y suis sentie chez moi... Voilà maintenant j'ai envie de partir en Espagne, vivre à l'espagnole, voir une corrida assise à côté du monsieur au sandwich...
Anonyme a dit…
Hé bhen, ca a été 5 minutes de lecture enflammée!
super interessant de lire cet article.
j'espère qu'un jours je pourrais voir une corrida pour resentir ce que tu as vécu. Je suis seulement pas sure d'en avoir la force!
Anonyme a dit…
le rapport à la mode? L'habit de lumière, my dear! Et une anecdote, le packaging de la premiere bouteille de parfum de C. LAcroix,"C'EST LA VIE" cuisant echec commercial et pour cause(?!)...Elle etait totalement inspirée de cette fameuse etreinte andalouse...boite rose et or et noir en reference à l'habit de lumiere..boucle bouclée? ;)
Anonyme a dit…
Alors moi je supporte pas. Bon j'en ai jamais vu de corrida et il faudrait me tirer par les pieds pour que j'aille en voir une.

J'habite à Nîmes depuis 97, et je deteste toujours autant le folklore taurin local.Ma belle mère fait partie d'un club taurin, dans sa maison t'as des taureaux partout. Pas un seul centimètre sans une effigie ou une babiole de taureau.
la première fois que je suis allée au dentiste dans cette ville il y avait des taureaux partout accrochés sur les murs du cabinet, genre t'es là sur le fauteuil avec en face de toi une tête de taureau empaillée.Insupportable.

la pire situation: ma belle mère voulant me souhaiter la bienvenue dans la famille voulait m'offrir une paire d'oreilles de taureaux...oui des vraies. Moi: "oh mais non je vais pas vous les enlever je sais que vous y tenez, et franchement je ne saurais pas trop quoi en faire". un truc immonde je vous dis. je crois que je l'ai vexée mais bon...les chocs culturels hein...on contrôle pas toujours.

Et tous les ans...la féria, avec des gens bourrés partout, dehors dans la rue c'est la cour des miracles, des gens louches qui te draguent entre deux haut le coeur.
je suis allée voir des courses libres, encore ça, ça passe, parce que la bestiole ne meurt pas, le jeu consiste à arracher une cocarde entre les cornes, des ficelles etc etc. j'ai souffert dans ces arènes je vous jure, c'est vraiment un truc qui m'attire pas.
puis les jupes taillées dans des nappes non plus.
le seul truc que j'ai pu tirer de leur folklore c'est un sublime éventail noir en dentelle d'arlésienne pour supporter la canicule.
alors sinon oui il parait que pendant une corrida tu es prise par l'enthousiasme de la foule, que tu te sens comme grisée, tu es portée par l'ambiance. il semblerait en effet que ce soit fort. mais personnellement...j'ai pas envie d'y aller, j'ai vraiment une overdose de taurinades. même la gardianne (daube de taureau) je la digère plus.
Je sais que je fait preuve de mauvaise volonté, mais je m'en fous. je sais aussi que personne ici comprend pourquoi j'aime pas ça...
Le folklore du sud est c'est beau uniquement chez Christian Lacroix :-D
Tu vois ma douce, on ne peut jamais être sûr de rien...les réactions à ton post sont surprenantes et variées!
Il va sans dire que ton article est magnifique!
Il me porte complétement....
vanes a dit…
Juste une petite note pour te dire que ton billet est magnifique...extrêment bien écrit, franc....Bravo
Marie a dit…
Lalalisasa: oui c'est vrai! Mais bon comme c'est pas l'élément central du post, je me disais que j'étais peut-être une imposture!

Dolorès: Je comprends...Les gens imaginent la corrida comme un truc sans coeur, sans intérêt et sans "magie"... Sauf que le spectacle d'une corrida nous ramène en un instant devant notre propre humanité. C'est de l'ordre de la pulsion!!!
Si tu vois le monsieur au sandwich, fais lui un bisou de ma part!

Alix: Je suis fragile, je chiale devant Madame est servie (oui, oui, Tony Danza qui fait le ménage!)... La Corrido hypnotise, c'est le plus fou... la force n'a rien à voir là-dedans...

Lunelô: ben oui, la boucle et bouclée... merci! Quand je pense que j'aurai été obligée de solliciter un vieux parfum de Lacroix pour crédibiliser mon discours, je me dis que j'ai touché le fond! ;)

Marieaunet: je détèste tout ce truc de férias, de beuveries et la passion pour les taureaux...
C'est vraiment la Corrida et toute sa violence qui m'a plus... Je ne veux pas en voir une sans mise à mort... Pas par cruauté, mais juste parce que je crois que c'est l'essence même de la corrida... Après les courses de taureaux, les cocardes et tout le reste, ça ne m'intéresse que très moyennement! Voire absolument pas!

Mou: Oui c'est vrai!

Vanou_s: Merci beaucoup!
Anonyme a dit…
lorsque j'étais en espagne malade, je passais mes journées à comater devant la télévision : simpson en espagnol, combat de sumos, et corridas...

au début je ne voulais pas regarder et puis je me suis laissé avoir, j'ai regardé un peu... je n'ai rien ressenti de ce que tu décris, juste de la tristesse pour cet animal...

la corrida à la télé c'est aussi passionnant qu'une moule sur son rocher.

anyway maintenant je sais imiter le toréador à la perfection... surtout les mouvements de menton...
Anonyme a dit…
Si c'est pour prendre ma dose de violence je préfère matter un bon vieux slasher :-D
Anonyme a dit…
Je suis actuellement en Espagne, dès que je vois un bout de corrida à la télé je peux même pas regarder ...
Et j'ai aussi du mal à comprendre comment on peut aimer voir souffrir un animal, donc si on me propose je dirai non ! Ton article est bien écrit, c'est certainement très impressionant de ressentir ce que tu as ressentie, mais je me refuse à connaître cette sensation en cautionnant la mort d'un taureau !
Enfin je me suis pas sentie fière quand un ami toréro de ma colloc s'est fait encorné, d'un côté je pensait bien fait pour lui, de l'autre j'étais triste pour elle ... (il a survécu quand même).
Café Mode a dit…
Ton post m'a touchée et m'a fait envie. Comme Dolorès je suis d'origine espagnole, mais la seule corrida à laquelle j'ai assisté, c'était à Barcelone. Très mauvaise pioche ! Les catalans détestent ça, résultat le niveau est nul... et ça tourne à la boucherie. Je me suis empressée d'oublier le malaise que j'y ai ressenti, mais l'envie d'en voir une belle me titille toujours. Je crois que je serais dans le même état que toi !
adpepper a dit…
Superbe temoignage... Suis tombe par le plus pur des hasards sur ce post. A la recherche de matiere afin de me "preparer" a ce vendredi 6 avril, ouverture des Ferias a Arles... Hommage a Lacroix ;) Bref, j'ai tellement ressenti tes emotions a travers tes mots, belles emotions, que j'ai desormais hate de me rendre en Camargue. Je voulais juste te dire ca... c'est rare ce talent.
Anonyme a dit…
Mon premier passage sur ce blog, par hasard, en cherchant des renseignements sur un parfum de Christian Lacroix (cf un des commentaires).
Tin article est tout merveilleusement écrit, plein d'émotion...
L'impression d'avoir un peu participé à cette corrida

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